QUAND CULTURE ET NATURE DIVERGENT
Conseil régional de l'environnement de la Côte-Nord
Sébastien Caron, directeur général
Quelques événements des derniers mois m’ont amené à me questionner sur la place occupée par l’environnement actuellement au Québec et sur les perceptions qui se dégagent chez les québécois par rapport à la nature et la protection de l’environnement.
Il convient dans un premier temps de bien définir les concepts de nature et de culture puisqu’ils représentent des dimensions importantes à l’intersection desquelles se définit plusieurs perceptions par rapport à la protection de l’environnement.
On peut définir la nature de manière générale comme « l’ensemble de tous les éléments qui composent l'univers. »1 Toutefois, lorsque l’on ajoute la relation entre la nature et l’Humanité, les définitions suivantes nous éclairent d’avantage : la nature, c’est « ce qui n'est pas modifié par l'intervention de l'homme » ou « le monde physique en dehors de l'homme et de ses réalisations ». Appliqué à l’Homme, on dit de la nature qu’elle est « instinct, ce qui est inné par opposition à ce qui est acquis »2.
Pour ce qui est du concept de culture, le même dictionnaire le définit comme « l’ensemble des éléments distinguant une société, un groupe social, d'une autre société, d'un autre groupe ». Appliqué à l’homme, le concept de culture exprime ce qui est « instruction, éducation, ensemble de l'acquis »3
Il existe plusieurs éléments de divergence dans ces concepts. Tout d’abord, le second définit et distingue une communauté, alors que le premier l’exclut. De plus, lorsqu’on les applique à l’homme, le premier réfère à ce qui est inné ou instinctif alors que le second exprime ce qui est instruit, acquis.
Or, à une autre époque pas si lointaine, il existait davantage de convergence entre nature et culture. Le quotidien de l’Homme lui rappelait que la nature fournissait tout ce qui était nécessaire à sa survie, son bien-être et, évidemment, l’expression de sa culture. De nos jours, il semble que ce qui est instruit et acquis nous positionne de plus en plus dans un paradigme où la nature est soit absente de la réflexion, soit en opposition avec la culture (occidentale du moins).
J’utiliserai deux exemples pour exprimer cela.
Le premier est issu d’une observation faite par un étudiant de premier cycle du primaire à son enseignante. Au début de la semaine, l’enseignante demande aux élèves ce qu’ils ont fait durant la fin de semaine, ce qui génère différentes discussions afin d’amener les élèves à s’exprimer devant le groupe et à émettre des opinions, etc. Ce matin-là, un élève lui dit qu’il a écouté une émission télévisée où des aventuriers faisant une descente de rivière en canot (Afin de reproduire une expédition du 17e siècle) ont brisé leur canot d’écorce dans un rapide. Il fait la réflexion suivante : « ils sont en pleine forêt, il n’y a pas de Wal Mart ou de Canadian Tire, je ne sais pas ce qu’ils vont faire ? » Il s’agit évidemment de l’exemple naïf d’un petit garçon qui croit que la chaine d’approvisionnement pour répondre à ses besoins commence (et finit) au magasin à grande surface. On peut excuser un élève de sept ans de ne pas savoir qu’à cette époque, lorsqu’on avait besoin d’un canot, on le fabriquait avec ce que la nature nous donnait.
Mais est-ce si éloigné du fait qu’il existe actuellement un bris du lien entre l’humain et la nature ? Le second exemple nous permet de croire que non.
Récemment, une grande entreprise forestière a amorcé une tournée d’information auprès des populations des régions où elle exploite des unités de production. Objectif : convaincre ces populations et les élus qui les représentent qu’elles doivent tout faire pour stopper le recul appréhendé de la sacro-sainte possibilité forestière. Elle y met donc en opposition de manière presque systématique protection de l’environnement et développement économique (Aspect dominant de la culture occidentale, disons-le !). Il me semble pourtant évident que les entreprises dont la survie dépend de la capacité des écosystèmes à leur fournir des ressources devraient être les premières à comprendre que l’on ne peut mettre en opposition ces deux concepts. Malgré tout, elle continue de le faire. Comme une bonne partie des élites socio-économiques d’ailleurs. Comme si l’«économie» était une espèce de mécanique à mouvement perpétuel qui s’autorégulait. (C’est vrai qu’aujourd’hui, alors que la valeur totale des titres boursiers dépasse la production réelle de valeur (Ensemble des PIB) et que plus de 75 % des transactions sont faites par des systèmes automatisés, on peut excuser certains de le croire...)
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Pim Palsgraaf |
Comment peut-on discuter collectivement d’objectifs de développement pour nos sociétés quand on ne s’entend même pas sur le fait que le développement durable repose avant tout sur le respect de la capacité de support des écosystèmes.
Il faut donc éduquer, conscientiser, favoriser l’acquisition d’une culture plus proche de la nature. Or, à peu près partout sur la planète, le développement de la culture socio-économique dominante a creusé un large fossé entre les deux. Le défi du mouvement environnemental est donc monumental.